« Je peux voir la France ! »

C'est vendredi et c'est l'été en Angleterre. Tim revient tout juste de Suisse, où il a dû mettre fin plus tôt que prévu à son projet de vol-biv avec ses amis à cause d'une blessure. Un coup d'œil à la météo le réconforte, car des conditions parfaites se dessinent pour un long vol à travers la plaine anglaise. Quelques années plus tôt, Tim aurait alors ressenti cette nervosité joyeuse que les pilotes éprouvent souvent avant les compétitions. Une fois que l'on est entré dans le top 10 national des pilotes de XC, on veut défendre sa place. Aujourd'hui, l'Anglais vole avec un bagage plus léger. Il laisse au sol le poids de la pression en vue de s'améliorer toujours plus à chaque vol. En ce jour d'août, Tim se réjouit simplement de passer le plus possible de temps en l'air.

Dans les airs, Tim est toujours tout à fait dans son élément. Etre responsable de soi-même, prendre chaque décision soi-même et décider seul de sa direction. La quintessence de la liberté, c'est ce qui va déterminer sa journée aujourd'hui encore. Tim ne partage sa liberté qu'avec ses amis. On planifie ensemble, mais à la fin, chacun vole de son côté. Le credo de Tim : planifier c'est bien, vivre c'est mieux. Arrivé au site de décollage, il se laisse inspirer par une pilote talentueuse de la ligue locale et élabore spontanément de nouveaux plans avec elle. Leur objectif commun n'est plus Eastbourne, mais Devil's Dyke, 43 km plus à l'ouest.

Tim prend son envol avec ses amis dans le petit village de Stroud, au nord-est de Bristol. Cette longue distance jusqu'à la destination finale est déjà un projet ambitieux. Il s'agit maintenant de parcourir environ 160 km à travers un labyrinthe invisible d'espaces aériens. Cela ajoute une touche de défi supplémentaire en raison des changements constants des altitudes minimales de vol. Là où les thermiques seraient une bénédiction pour les amis à certains endroits, ils sont une malédiction à d'autres. Après 90 kilomètres, l'activité thermique est telle que le groupe doit engager des spirales serrées pour contrer la forte ascendance et rester dans le vert sous le FL65.

Voler dans ces conditions actives demande beaucoup d'expérience et de technique. Au-dessus de Petersfield, Tim et ses amis perdent une altitude précieuse à chaque mètre. A environ 140 m au-dessus du sol, les chemins des amis se séparent au-dessus d'une petite ferme. Tim est lui aussi mentalement prêt à atterrir, mais après plus de 30 ans d'expérience de vol, peu de choses le déstabilisent encore. C'est ainsi qu'il réussit à la toute dernière seconde à s'arracher à ce point bas (Low Save). Et quel vol : à plus de 1200 m, il vire de bord. Arrivé à la base des nuages, l'ancien pilote de ligue se rend vite compte que Devil's Dyke n'est plus une option en raison des conditions de vent et de sa position. Tim prouve une fois de plus sa préférence pour les changements de direction spontanés et vise à nouveau sa destination initiale, Eastbourne. Il continue ainsi à se frayer un chemin en direction de la côte. La mer est déjà en vue.

L'arrivée dans la Manche donne des ailes à Tim, et pas seulement au sens proverbial du terme. Aujourd'hui, la brise de mer est faible et les thermiques prometteurs. Ce serait vraiment dommage de ne pas profiter de ces excellentes conditions pour prolonger son vol le long de la côte. A 1500 m au-dessus de la mer, le labyrinthe de l'espace aérien est désormais derrière lui et il réalise : C'est maintenant l'un des moments dont il se souviendra toujours. Là où il vole en ce moment, les gens ne voient normalement que les mouettes voler.

Tim est maintenant en route depuis six heures et vole déjà sur 60 km le long de la côte, avec le scintillement de la mer bleue devant lui. Il se trouve actuellement bien au-dessus des falaises des Seven Sisters lorsqu'il se dit que la situation ne peut pas vraiment s'améliorer. Un instant plus tard, il découvre une ligne blanche à l'horizon et réalise : "Je vois la France! Je vois vraiment la France!" ("I can see France ! I can actually see France !") Un moment tellement irréel qu'il n'aurait pas pu le rêver. Mais le destin lui a souri.

Son arrêt prématuré de l'aventure de Vol Biv lui a offert ce moment unique, qui aurait été impossible aussi bien depuis la Suisse que depuis Devil's Dyke. Et c'est ainsi que l'on constate que les hasards de la vie font parfois les meilleurs plans. 218 km après son départ de l'intérieur du pays, Tim atterrit à Eastbourne.