« Voyons ce qui est possible. Essayons de trouver ce qui va marcher. » Quand Aaron Durogati et ses trois compagnons Fabi Buhl, Will Smith et Jake Holland sont finalement arrivés à Karimabad au bout de 20 heures de conduite sur le Karakorum Highway, ils se sont d’abord sentis dépassés par la puissance brute de ces hautes montagnes. Ils étaient entourés par des sommets de sept-mille mètres, avec des huit-mille à l’arrière-plan : des montagnes célèbres comme le Rakaposhi, le Nanga Parbat, le K2 et bien d’autres.
C’était le premier voyage d’Aaron dans le nord-est reculé du Pakistan. Quand il est parti pour cinq semaines dans le Karakorum au début du mois de mai 2022, le champion du monde, le concurrent de la X-Alps et le pilote exceptionnel qu’il est, n’avait aucun projet de battre des records. Tout ce qu’il voulait, c’était se sentir libre dans sa tête… et faire ce qu’il sait faire : du parapente et du ski. Pratiquer les deux dans une autre dimension. D’où son long périple jusqu’à la vallée du Hunza et Karimabad. Ça devait être « l’expérience d’une vie » à tous points de vue.
« Quand on est arrivés, le temps était instable. On a eu des orages avec des vents allant jusqu’à 80 km/h. Donc, on s’est concentrés sur l’acclimatation : attendre une fenêtre météo, monter à pied et redescendre avec la PI 3. » L’objectif était de s’acclimater à des altitudes dépassant les 5000 mètres. Bientôt, Aaron et son équipe avaient compris suffisamment bien les conditions pour pouvoir se lancer dans leurs premiers combos de Ski & Vol. Le glacier du Hunza (à environ 5000 m) leur offrait d’excitantes pentes raides, et quand le temps s’est finalement amélioré, le Barbara Peak (5520 m) s’est prêté à des expériences très cool de freeride. La première impression d’Aaron : « C’est merveilleux, mais très exigeant avec un terrain parfois trompeur. Ce n’est plus du sport, c’est une aventure. »
Enfin, au bout de vingt jours, la météo s’est améliorée et des vols de distance sont devenus possibles. « Le premier vol de distance, un triangle à plat de 200 km, a été un succès. » L’air plus léger à des altitudes allant jusqu’à 6500 m leur garantissait de la vitesse et le vol leur a pris moins de six heures. « Mon intention était de voler aussi loin que possible et de voir autant de choses que possible. »
Comme site de décollage pour ses vols de distance, Aaron avait choisi un versant orienté à l’est au-dessus de Karimabad. Avant chaque décollage, il a dû monter à pied 1000 mètres de dénivelé. Son second vol XC a été un triangle FAI de 285 km, qui se révéla être une expérience très enrichissante : un fort vent catabatique – de l’air froid qui descendait des gros glaciers et qui contrait les thermiques – lui a mis des bâtons dans les roues. À 5000 m d’altitude, l’objectif du Karimabad apparaissait comme possible à atteindre en plané, mais quelques minutes plus tard, Aaron a été contraint de se poser dans une vallée perdue. Il a dû marcher plusieurs heures pour en sortir.
Et à peine le vol de distance avait-il réellement commencé que l’estomac d’Aaron se mit à se plaindre : « La nourriture pakistanaise n’est pas mon truc. Je suis italien, et j’ai donc toujours eu un peu de mal avec ce régime. Quand on s’est mis en route pour l’aventure suivante, le Barbara Peak, je me suis soudain senti vraiment mal. Ça a bousculé nos plans et retardé notre programme. Il fallait que j’aille mieux, que je guérisse de cette intoxication alimentaire et que je prenne un jour de repos avant de pouvoir continuer ces combos de Ski & Vol. »
Une fois que l’estomac d’Aaron s’est remis à fonctionner normalement, le nouveau revers fut un atterrissage brutal. « Pour une fois, je n’avais pas mis le protecteur pour ce vol, et mon dos a pris un choc. » Malgré la douleur, Aaron est remonté jusqu’au site de décollage avec son OMEGA XA 4. « J’avais remarqué que mon dos allait mieux quand j’étais dans la sellette. » Et c’est ainsi que commença l’aventure d’Aaron pour battre le record d’Asie.
Jusqu’au premier point de contournement, Aaron a progressé très rapidement, mais ensuite il a rencontré des portions difficiles quand il a dû gratter pour gagner de l’altitude à 200 mètres au-dessus d’un fond de vallée perdue, enroulant dans des ascendances d’à peine 0.1 mètre par seconde. « Chaque mètre de gain valait son pesant d’or parce que se vacher et revenir au pas de course n’était pas une option possible. Le terrain était beaucoup trop difficile, et de toute façon, avec mon dos je ne pouvais pas courir. J’aurais été totalement perdu. » La dernière partie du vol se passa à nouveau bien. Grâce à de bons thermiques, Aaron a pu contourner les 7800 m du Rakaposhi pour atteindre le point de contournement final. L’aventure du record d’Asie s’est finalement terminée par un grand succès : 312 kilomètres en 10 heures et demie.
« Au niveau des thermiques, le vol est comparable au vol dans les Alpes. Mais quand on est dans le Karakorum, on ressent tout dans une dimension différente. Tu gagnes plus d’altitude et tout est dix fois plus gros que chez toi : les glaciers, les crevasses, les séracs. Et par-dessus tout, tu es totalement livré à toi-même dans un terrain très difficile. C’est la grosse différence. » Aaron avait connu ce genre de situations plusieurs fois au cours de ses vols. « Il n’y a pas d’hélicoptère pour te récupérer. Là, tu pars pendant des jours avant de revenir, si tu arrives à revenir. » Cela exige autant de confiance en soi que d’intuition : « Pendant ces cinq semaines, j’ai appris à faire confiance à mes tripes. Quand j’ai eu à prendre une décision, si je n’avais pas écouté ma voix intérieure, je n’aurais pas pu battre le record. »
Aaron est un pilote de talent absolu à tous les niveaux. Il est à l'aise dans toutes les disciplines du parapente – XC, VolBiv, Speedflying ou Climb & Fly. L'ancien vainqueur du classement général de la Coupe du monde a déjà participé cinq fois aux X-Alps et a remporté de nombreuses compétitions.
En savoir plus